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Quid de la discrimination de la jeunesse française ? | Dans l’oeil de L’Ascenseur #5

Malgré la multiplicité des initiatives politiques en matière de lutte contre les discriminations portées aux côtés des acteurs associatifs, qui nous sommes et d’où nous venons conditionnent encore aujourd’hui nos trajectoires de vie. Et pour preuve : à l’échelle nationale, un individu qui porte un nom à consonance maghrébine à environ 27 % de chances en moins que celui avec un nom à consonance française d’obtenir un premier rendez-vous avec le propriétaire d’un  logement. Cette même personne doit multiplier par 1,5 le nombre de CV envoyé pour espérer obtenir une réponse. Si les publics touchés par les discriminations sont tous différents, ce fléau impacte davantage les plus jeunes, et cela, tout au long de leur parcours.

Les expériences de discrimination sont subies dès la petite enfance et elles ne cessent de s’incarner au fil des moments décisifs : au moment de l’orientation, par exemple, car un 1 jeune sur 5 estime ne pas avoir le choix de son orientation scolaire ou bien lors de la première découverte du monde de l’entreprise pendant le stage de troisième où certains payent leur patronyme. Malheureusement, cet engrenage de la discrimination se poursuit jusqu’à l’insertion professionnelle : le taux de chômage des moins de 30 ans atteint 30,4% dans les QPV soit 2 fois plus que dans celui des autres quartiers. Ce constat constat largement partagé depuis des années démontre qu’il est bien nécessaire de travailler sur les raisons structurelles de ces discriminations et de mettre en œuvre des solutions concrètes en faveur des candidats à l’emploi des territoires moins privilégiés.

Selon la DILCRAH, chaque année, ils et elles sont un million deux-cent mille à subir une discrimination ou une atteinte à caractère raciste ou antisémite. À lui seul, ce chiffre bafoue notre contrat social et suffirait à illustrer l’importance du combat à mener. Les discriminations ressenties et subies par la jeunesse française tendent à rompre la promesse républicaine à laquelle chacune et chacun doit pouvoir prétendre. Bien heureusement, des solutions existent et sont déployées par les associations, les organisations du secteur privé, les institutions et les pouvoirs publics. Dans ce contexte, avec en toile de fond la loi immigration qui “heurte de plein fouet les principes républicains” pour reprendre les mots de la Défenseure des Droits, nous allons tenter de comprendre ce qui se joue en matière de discrimination pour la jeunesse française. À cette fin, nous avons interrogé Géraldine Plénier, Déléguée Générale de la Fondation Mozaik.

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Géraldine Plénier – Directrice Générale de la Fondation Mozaïk

Tout d’abord, quand on parle de discrimination, de quoi parle-t-on ? Selon L’Observatoire des Inégalités, Discriminer, à l’origine, c’est séparer, trier. En droit, c’est une différence de traitement entre plusieurs personnes ou des groupes de personnes – sur la base d’un certain nombre de critères listés par la loi (l’âge, le sexe, l’origine, l’état de santé, l’orientation sexuelle, les opinions politiques, etc.). Ces critères ont été précisés par la législation du 27 mai 2008 et, aujourd’hui, on n’en compte pas moins de 26.

Depuis plus de 16 ans, la Fondation Mozaïk tente de juguler ce cataclysme qui touche notamment les jeunes et, en première ligne,  les plus défavorisés. À sa genèse, le cabinet s’est appuyé sur un triste constat tel que le rappel Géraldine Plénier : “Des jeunes diplômés, proches de l’emploi, issus particulièrement des quartiers politique de la ville, en raison de l’origine sociale, socioculturelle ou territoriale, avaient des difficultés pour intégrer le monde de l’emploi et pouvaient faire l’objet de discriminations  à l’emploi. L’idée d’Estelle Barthélemy-Clairicia et de Saïd Hammouche, a été d’abord de mobiliser des entreprises, qui étaient prêtes à recruter ce type de profils. ”

Le groupe Mozaïk  propose un accompagnement de l’ensemble des organisations privées et publiques pour que la performance et l’inclusion ne s’opposent pas mais se conjuguent à travers des formations et de la sensibilisation sur toute la valeur ajoutée de la diversité. Aussi, les équipes de Saïd Hammouche prônent un recrutement inclusif qui s’appuie sur une méthodologie de sourcing large et territorialisée pour les grands acteurs du secteur privé comme du secteur public. Sans oublier la mise en relation entre les recruteurs et les candidats via la plateforme MozaïkTalents.com, les jobdatings “Meet’Up” ou encore les coachings intensifs des candidats. En complément, la Fondation Mozaïk porte une action forte de plaidoyer, pour mettre la lutte contre les discriminations à l’embauche et tout au long de la vie professionnelle à l’agenda prioritaire  des politiques publiques.

Le Sommet de l’inclusion économique, organisé chaque année par la Fondation Mozaïk, est un bel aperçu de ce qui est fait en la matière. En chiffres, ce grand temps fort de l’inclusion économique rassemble plus de 10 000 décideurs économiques, politiques, associatifs et des candidats à l’emploi. C’est une belle occasion de lancer des grands plan nationaux et c’est aussi LE moment où des candidats rencontrent des dirigeants d’entreprises et recruteurs et découvrent différents métiers. “L’objectif du sommet, c’est vraiment de réunir l’ensemble de l’écosystème, de l’inclusion économique et de faire en sorte que ces gens se rencontrent et se parlent”, précise Géraldine Plénier.

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Saïd Hammouche – Fondateur du groupe Mozaïk

Il y a bien souvent un imaginaire qui accompagne le concept des discriminations à l’embauche. Le plus grand nombre croit, à tort, que l’obtention d’un Master 2 est la planche de salut qui favorise l’insertion professionnelle de tout un  chacun. “Absolument pas” souligne Géraldine Plénier, “même s’il est vrai que chez les étudiants en Master 2, le taux d’insertion est assez important, il y a toujours des disparités en fonction de l’origine socioculturelle : certains n’ont pas le “bon nom”, ni forcément le réseau, ni les connaissances du monde économique. Et ils se censurent parfois en n’osant pas postuler auprès de telle ou telle entreprise”.

Le groupe Mozaïk  a toujours porté la volonté d’aller à la rencontre de ces jeunes diplômés, étant donné que ce sont finalement ceux qui sont les moins identifiés par les politiques publiques, considérant qu’après l’obtention du diplôme, ils n’ont plus besoin d’aide. Pourtant, les chiffres sont unanimes : 95 % des étudiants qui ne trouvent pas de stage ont des noms à consonance étrangère. Si certains jeunes se heurtent à ces difficultés, les recruteurs en sont en partie responsables, souligne La Directrice Générale de la Fondation Mozaïk :

“Ces entreprises ne sont pas toujours « accueillantes » sans le vouloir, elles mettent en place un certain nombre de critères de sélection qui freinent indéniablement les candidats, comme la maîtrise de l’anglais, quand on en a besoin que rarement dans ses missions. Par exemple, il était impossible de rentrer dans un cabinet de conseil sans un certain niveau ou type de diplôme.” Les entreprises, elles aussi, nécessitent d’être formées sur ces sujets de diversité, accompagnées et préparées dans cette démarche de recrutement inclusif.  C’est bien là que se concentre toute l’expertise de Mozaïk tel que le mentionne Géraldine : “notre engagement vis-à-vis de la région Île-de-France, c’était de faire 2000 mises en relation candidats/recruteurs sur un an”. Promesse tenue.

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En réponse à ces problématiques structurelles, la Fondation a construit plusieurs dispositifs complets, spécifiques et adaptés à chaque profil entre l’infra bac et le Master 2. Par exemple, le programme Ambition accompagne 3000 étudiants universitaires en Master 2 avec suivi spécifique en temps collectifs et individuels pour 800 d’entre eux. Tel que le précise Géraldine, “ils sont soit habitants des quartiers, soit boursiers, puisque ce sont les publics avec un taux d’insertion plus faible, un temps de recherche d’emploi plus long et une adéquation plus grande entre ton projet professionnel initial et ton premier emploi.” Mozaïk doit s’assurer qu’ils obtiennent un  emploi, un job à la hauteur de leurs aspirations et de leur formation”, précise Géraldine. Aussi, la Directrice Générale clame cette volonté  d’aller encore plus loin : créer au sein de France Travail, une entité inclusive – France Inclusion –  pour accompagner de manière spécifique un public de candidats qui a besoin d’actions plus spécifiques en fonction des difficultés qu’ils rencontrent..

Autre idée préconçue, les expériences de discriminations ne se cantonnent pas au palier du premier emploi à en croire le témoignage de Mourad Mostapha Amir Grabsi, alumni : “J’ai fait du droit, de la comptabilité et encore aujourd’hui en tant que soignant de la Croix Rouge il m’arrive parfois dans les hôpitaux d’avoir quelques remarques et que l’on me dise : « C’est toi le stagiaire ? Ah je pensais que tu étais le vigile.” Ces différents récits ne cessent de prouver qu’après la première montagne gravie, la route est encore longue.

Quelles sont les solutions concrètes mises en œuvre pour pallier ce fléau toujours tristement d’actualité ? Si l’initiative du CV anonyme semble désuète car susceptible de créer d’autres biais, est-ce que l’intelligence artificielle serait un moyen efficace de lutte contre ces intentions discriminantes ? Face à l’urgence de la situation, tout est à envisager lorsqu’il s’agit de faire évoluer les pratiques. À l’heure où les directions “Diversité & Inclusion” ont le vent en poupe, Géraldine Plénier rappelle l’importance, si ce n’est la nécessité, d’un engagement profond des responsables de ces services et d’un portage au niveau des instances de direction : “Au-delà des enjeux de réputation d’entreprise, il faut que ces postes soient tenus par des gens qui ont des vraies convictions qui ont à cœur de faire évoluer les pratiques et les mentalités, en questionnant le statut quo”.

Quid des contraintes légales qui pourraient mettre les entreprises au pied du mur ? Peut-être que la publication de rapports  qui classeraient en toute objectivité une entreprise en fonction de sa politique pourraient favoriser le changement. A contrario, le point de vue de la Fondation Mozaïk se place sous le signe de l’accompagnement sans se positionner dans une posture de juge.

Quant à elle, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) prend le sujet des discriminations à l’embauche à bras le corps à travers une proposition de loi sur les testing, une pratique qui consiste à soumettre deux profils comparables pour une même demande sauf en ce qui concerne le critère susceptible d’exposer aux discriminations.

Enfin, parce qu’il est souvent difficile de savoir où s’adresser et à qui, Le Défenseur des droits a créé la plateforme Antidiscrimination.fr, une interface de signalement et d’accompagnement des victimes ou témoins de discriminations. Comme l’a très justement rappelé Claire Hédon à l’ensemble des jeunes conviés à l’événement organisé par L’Ascenseur : Génération Discriminée ? au Palais de la Porte Dorée : “ne restez pas seul face aux discriminations que vous pourriez subir et saisissez le Défenseur des droits pour être écoutés et faire reconnaître cette réalité”.

Il est essentiel de faire front, ensemble, dans la lutte contre les discriminations : le secteur associatif, de concert avec les collectivités territoriales, les ministères mais aussi les institutions culturelles, les entreprises et les grands dirigeants. Une coalition d’acteurs est absolument nécessaire non seulement pour penser des propositions de politiques publiques mais aussi pour alerter, suggérer, accompagner, former quand cela est requis.

“Faites-vous confiance, ne vous mettez pas de barrières, faites-vous accompagner, même si ce n’est pas toujours un réflexe.”, conclut Géraldine Plénier. Cet optimisme s’incarne également dans la parole de la jeunesse : “En embrassant la diversité, en défiant les stéréotypes et en soutenant des organisations dédiées au changement, nous ouvrons la voie à une société plus inclusive et harmonieuse.”

Vivement que les discriminations ne soient plus qu’une vulgaire peau de chagrin.


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