Dans l’oeil de L’Ascenseur #1 : Entrepreneuriat : où sont les femmes des quartiers populaires ?

Hawa Dramé, fondatrice de Time2Start et du Fonds SENS
“Être une femme, issue d’un quartier, d’origine étrangère, c’est une richesse mais aussi un combat quotidien face à un imaginaire collectif qui génère des discriminations : celui qui caractérise la femme de quartiers, d’origines étrangères. Cela crée inévitablement des barrières quand tu souhaites monter ton projet, lorsque tu recherches des financements. C’est une réalité, les discriminations sont présentes et il ne faut surtout pas les nier si l’on veut les dépasser. Ces discriminations ne freinent pas pour autant notre ambition, notre rage d’aller au bout de nos rêves, de participer au changement” Hawa Dramé, fondatrice de Time2Start et du Fonds Sens
Quid de l’égalité des chances dans le secteur entrepreneurial féminin ?
Le nombre de femmes créatrices d’entreprises dans les quartiers prioritaires est de 29 % selon une étude de Bpifrance publiée en mars 2021, une proportion assez similaire à celle des femmes non originaires des quartiers. Derrière ces chiffres se cache un triste constat, un double plafond de verre : être une femme est donc loin d’être le seul obstacle. Autre statistique alarmante, les revenus que dégage leur entreprise sont sensiblement plus faibles que ceux de leurs confrères masculins, ou des femmes entrepreneures des quartiers moins populaires : 6 femmes entrepreneures sur 10, dans les zones urbaines sensibles, déclarent des revenus inférieurs à 15.000 euros annuels avant impôt.
Nos banlieues ont pourtant du talent, ce n’est plus à prouver. Les quartiers bénéficient à tort d’une mauvaise réputation alors qu’ils fourmillent de créativité. La France a la chance d’avoir un vivier d’entrepreneures, d’artistes, de sportives qui sont issues de ces quartiers et pour autant, les médias et l’opinion publique ont tendance à cristalliser sur les difficultés et les inquiétudes. Certes, de nombreux points sont à améliorer mais pour faire bouger les lignes, il est impératif de valoriser nos talents et mettre en lumière la réussite au féminin.
Si les inégalités sociales sont une explication évidente face à ce triste constat, d’autres phénomènes de fond sont à l’origine de cette absence et/ou invisibilité des femmes dans le réseau entrepreneurial de nos quartiers. C’est un fait : racisme, discrimination, absence d’un réseau professionnel solide, manque d’accompagnement sur la création du projet et d’accès au financement, charge mentale, ces freins existent, persistent et sont d’autant plus importants pour les femmes. Il est grand temps de les dénoncer si l’on souhaite dépasser ce statu quo et bouleverser l’ordre établi.
Hawa Dramé, fondatrice Time2start, en sait quelque chose : “Je l’ai vécu et je le vis encore aujourd’hui et c’est dur, mais on avance. Lorsque j’étais étudiante en alternance dans un grand groupe et on se retrouve à la machine à café avec des collègues et la question que l’on ne pose qu’à moi : “Et toi, comment t’as fait ? Sous-entendu, comment tu as fait pour arriver là ? Comme si c’était impossible. J’ai ressenti une forme de mépris par rapport à l’origine géographique et sociale. Je reçois encore beaucoup de témoignages de femmes, de femmes noires – qui montre leurs difficultés d’accès à l’entrepreneuriat, qui relate de situation de discrimination en entreprise : ce qui montre qu’elles ont aussi besoin de soutien et d’en parler”.
Hawa a grandi dans le 93 et a pu intégrer un cursus parallèle sur sélection qui permet à des étudiants de zones d’éducation prioritaire de se préparer aux concours des grandes écoles. Diplômée de l’ESCP EUROPE, avec une spécialisation en entrepreneuriat social, elle s’est concentrée sur les enjeux liés à l’entrepreneuriat dans les quartiers populaires et la diversité en menant plusieurs études et actions dans ce domaine. Entrepreneure et Consultante , Hawa s’est très vite rendu compte qu’il fallait mener de front une action concrète permettant d’abolir les obstacles ainsi que cette frontière étanche entre les entreprises et ces porteurs de projet.
Pour cela, la fondatrice de Time2start un incubateur à fort impact qui œuvre à renforcer la mise en relation, travailler sur la constitution d’un réseau, construire et affiner l’expertise par un accompagnement poussé faciliter l’accès aux financements, . Depuis 2015 cette femme aux multiples casquettes apporte aux porteurs de projets une méthodologie, une pédagogie basée sur la qualité et sur l’impact qu’il est possible d’avoir sur une personne. Oui, des solutions existent pour pallier ces phénomènes sociaux ancrés. Et pour preuve, les associations proposent un accompagnement précieux : “la relation de mentorat est déterminante, notamment dans l’entrepreneuriat parce que les mentors sont des profils expérimentés qui ont un regard extérieur essentiel quand on est entrepreneurs. Le mentor apporte son réseau, il (re)motive, il devient une source d’inspiration, un pilier avec qui on peut échanger – une sorte de grand frère qui va t’aider à faire face aux difficultés et t’ouvrir d’autres possibilités.”
Le retour d’expérience de Maryam Ezzouak Ingrain entrepreneure bénéficiaire de l’association et fondatrice de Linking Therapist Academy peut que susciter l’unanimité :

“Quand on veut lancer son projet d’entrepreneuriat – en tant que femme et maman de trois enfants – c’est compliqué d’être prise au sérieux. D’un regard extérieur cela peut faire peur : les banquiers, les financeurs ou les investisseurs se disent que l’on ne pourra pas gérer les deux. Ce n’est pas évident de se confronter à ces premières réactions. Il y a un autre sujet, c’est les freins que connaissent les personnes en situation de handicap. C’est mon cas et je ne l’évoque jamais à cause des préjugés. Je parle bien de situation de handicap, car ça ne veut pas dire être handicapé dans tous les domaines. Il y a des sujets où l’on peut être très performant et des sujets où c’est plus compliqué. C’est dommage, j’aimerais aimé être acceptée dans mon intégralité et je sais que ce n’est pas le cas. Quand on est femme, issue de la diversité et/ou d’un quartier prioritaire, c’est encore plus difficile. C’est des freins, certes, mais c’est surmontable. Grâce aux associations notamment, c’est amené à changer”.
Si l’entrepreneuriat constitue un antidote précieux contre le chômage, la création d’entreprise est surtout un levier d’épanouissement professionnel pour les femmes, d’autant plus quand elles deviennent mère de famille : 28 % de femmes étaient au chômage avant de devenir “Mompreneurs”, dont la moitié de chômeuses de longue durée. Choisir de ne pas choisir, c’est donc possible : créer son entreprise permet de mêler un épanouissement à la fois professionnel et familial. L’entrepreneuriat devient alors un moyen de poursuivre une carrière tout en assumant ses impératifs familiaux par la flexibilité qu’il permet quant aux horaires et au lieu de travail. Ces deux environnements s’imbriquent et s’entremêlent à juste titre.
En effet, pour ces femmes qui prennent le risque, l’entrepreneuriat relève à la fois d’un choix professionnel et d’un choix de vie comme le rappelle Maryam, fondatrice de Linking Therapist Academy : “Cela a toujours été délicat pour moi d’allier la vie personnelle et professionnelle de façon sereine. Avec l’entrepreneuriat, j’y arrive désormais. Le fait d’avoir développé un projet qui m’anime, qui a du sens pour moi, m’a permis de pouvoir prioriser ce qui est important. Dernièrement mes enfants sont tombés malades, si j’avais été salariée d’une entreprise, ça aurait été difficile de jongler entre les deux, de se justifier, de prendre soin de ses enfants sans culpabiliser, car derrière, il y a la pression implicite ou évidente de l’employeur. Aujourd’hui, je suis confiante dans ma façon de travailler et de me dire que je suis mon propre patron. Je peux prioriser mes enfants ponctuellement et en même temps faire avancer mon entreprise en ajustant au quotidien mes missions. Cette flexibilité m’est indispensable.”

30Linking therapist Academy – une solution de formation digitale, interdisciplinaire et personnalisée pour les professionnels de la santé afin qu’ils puissent actualiser leurs connaissances et se perfectionner sur un sujet précis – a notamment vu le jour grâce à l’accompagnement associatif. Dès la genèse du projet, lors des premières formations développées, Maryam a très rapidement été limitée sur le plan financier. Trouver des sources de financements, trier l’agrégat d’informations reçues, analyser et choisir LA proposition pertinente et adaptée à son projet d’entreprise n’est pas une mince affaire : “Dès que j’ai commencé l’accompagnement avec Time 2 Start, j’ai eu des réponses précises à toutes mes interrogations et j’ai gagné un temps précieux et une visibilité essentielle. Je me suis formée, j’ai appris. Cela m’a permis de passer à l’action, c’est le démarrage du dicton “entreprendre c’est agir”. Ce coup de pouce a été un déclencheur. J’ai créé Linking therapist Academy en janvier 2021. »
Pour 1 femme sur 2, l’accès au financement est le frein principal à la création de leur entreprise. Cette inégalité s’explique en partie parce que les femmes font face, plus souvent que les hommes, au refus de crédit dû au manque d’apport, parce que le dossier ne convient pas, sans oublier les préjugés et discriminations liées au sexe, à l’origine sociale, à la couleur de peau ou au lieu de résidence. Hawa Dramé s’est très vite emparée du sujet aux côtés de Saïd Hammouche, fondateur de Mozaïk RH Grâce au soutien de PwC, le collectif de L’Ascenseur a pu créer le fonds Fonds Sens , la coalition de l’entrepreneuriat inclusif qui permet de faciliter l’accès à ces financements. L’objectif est de déconstruire ce parcours du combattant en proposant des prêts d’honneur à taux zéro, sans condition et couplage bancaire, sans frais de dossier ni obligation de garants, ouverts à tous les secteurs d’activité.
Cette initiative permet de libérer le potentiel entrepreneurial de chacun et de braver les premiers obstacles. Maryam Ezzouak Ingrain, lauréate du fonds Fonds Sens, en souligne les résultats concrets : “Pitcher mon projet devant des entreprises et des experts de l’entrepreneuriat m’a donné une grande visibilité auprès d’acteurs importants, cela m’a ouvert des opportunités ! J’ai pu être contactée par des laboratoires pharmaceutiques rencontrés lors du pitch et nous sommes en phase de contractualisation. Devenir une lauréate SENS constitue une grande avancée pour Linking Therapist. J’ai bénéficié du prêt d’honneur à hauteur de 10 000 euros pour lancer mon activité ”.
Les associations d’intérêt général sont le maillon fondamental de l’égalité des chances, elles font le dernier kilomètre nécessaire pour accompagner ces entrepreneurs des quartiers, notamment ces femmes qui peinent à se lancer. L’Etat a également un rôle primordial à jouer pour favoriser l’émergence de ces talents. Il est nécessaire d’informer sur les dispositifs mis en place, l’accompagnement associatif et celui des incubateurs, valoriser cette voie entrepreneuriale au sein d’une Institution telle que l’École – le premier lien reliant le citoyen et la société. Pourquoi ne pas créer avant l’entrée en université des cursus spécifiques orientés sur l’entrepreneuriat et la création d’entreprise ?
Il faut continuer à créer de la valeur au sein de nos quartiers : organiser des concours de pitch notamment féminins, mettre en place des salons d’entrepreneures, construire des espaces de travail de qualité. Les entreprises aussi doivent s’engager à impulser cette dynamique car au-delà d’un soutien financier apporté, les acteurs du secteur privé disposent d’un vivier d’experts et de talents précieux pour celles qui souhaitent se lancer. Les entreprises ont la capacité d’accompagner, de booster, de mettre en relation, et bien évidemment créer des liens commerciaux. Leur regard affiné sur cet écosystème entrepreneurial est fondamental pour favoriser l’émergence des pépites de demain.
📣 Vous êtes une femme et vous souhaitez vous lancer dans l’aventure entrepreneuriale ? Des collectifs tels que L’Ascenseur regorgent de ressources, d’initiatives et de solutions innovantes pour vous accompagner.
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