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(Re)Mobiliser les publics fragiles par la pratique sportive : quelles sont les réalités du terrain ? | Dans l’oeil de L’Ascenseur #3

 » Certains de nos jeunes font face à des problèmes d’addiction(s) ou des problèmes relationnels. Ils sont en totale rupture avec les institutions et connaissent des difficultés financières, familiales. La  pratique sportive va permettre de travailler sur tous ces aspects. La construction d’un projet professionnel suivie de séances de sport vont servir à créer une autre relation à l’accompagnant, au conseiller, au formateur. Je dis toujours cette phrase : avant de faire de l’insertion par le sport, on fait de l’insertion.”

– Guillaume Conraud, Délégué Général d’Action Prévention Sport

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Guillaume Conraud, le 5 juillet 2023 au Stade Roland Garros lors du lancement de la #GenerationAscenseur

Si le gouvernement s’attèle depuis quelques années à faire du sport une pépinière de l’emploi notamment en faveur des publics fragiles, invisibilisés, éloignés ou  décrocheurs, les associations sont souvent celles qui sourcent, orientent, conseillent et accompagnent.  C’est un fait : depuis quelques années, l’insertion des jeunes devient une des grandes priorités des politiques publiques. Des dispositifs d’aide à l’embauche et de soutien à la formation de la jeunesse ne cessent d’être déployés : 1 jeune 1 solution en 2020, puis 1 Jeune 1 mentor en 2021, ou encore plus récemment la mise en place d’un contrat d’engagement jeune destiné aux 16-25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en formation.

Et bien souvent le sport apparaît comme une porte d’entrée, un moyen d’approcher, de (re)mobiliser, et d’insérer de manière pérenne. Et pour cause, le secteur du sport représente 448.000 emplois, soit 2,2 % des effectifs salariés en France, qui se répartissent à 75% dans les entreprises et à 25% dans les associations sportives. À un an des Jeux Olympiques et Paralympiques, offrir des opportunités à chacun pour construire cet événement de grande ampleur est la volonté prioritaire de Paris 2024. Cette ambition rassemble l’ensemble des acteurs du monde de l’emploi dont, évidemment, les associations expertes de cette thématique.

Mais, est-ce que le poste d’agent de sécurité des JO est une proposition qui fait véritablement rêver la jeunesse ? Les métiers en tension d’aujourd’hui sont en décalage avec les aspirations des jeunes, souvent influencés par les réseaux sociaux. Un fossé se creuse alors, lorsque les acteurs de l’insertion proposent des formations ou possibilités d’emplois qui n’intéressent pas, qui ne sont pas suffisamment valorisées chez les bénéficiaires.

Loin d’être une baguette magique, le sport ne fait pas tout. Il faut battre en brèche l’idée qu’il répare et résout tous les maux et les fractures sociales. Guillaume Conraud, Délégué général d’Action Prévention Sport (APS) le sait mieux que quiconque. Son parcours professionnel s’est dessiné autour de l’engagement associatif, avec toujours, le sport en toile de fond. Dès ses études supérieures, il a créé Sport 4 Life, une association d’insertion grâce à la pratique sportive pour les jeunes d’Ile-de-France. Puis, Guillaume rejoint la fédération sportive et gymnique du travail qui s’appuie sur un bénévolat militant afin de développer un sport associatif accessible à tous, notamment aux milieux populaires.

Association reconnue d’utilité publique et fondée par des lutteurs de haut niveau, Action Prévention Sport agit depuis plus de 25 ans pour favoriser la réussite de toutes les personnes éloignées de l’emploi et de la formation, rencontrant des difficultés sociales et économiques. En fonction des profils et des parcours – les décrocheurs scolaires, les demandeurs d’emplois, les allocataires du RSA, les jeunes femmes des quartiers prioritaires, les détenus, les jeunes sous main de justice – la structure offre la possibilité aux bénéficiaires de suivre un parcours complet allant de la re-mobilisation à l’obtention d’un diplôme tel que le souligne Guillaume :

“Nous avons structuré notre action en trois pôles : celui qui fait de l’insertion socio-professionnelle, un pôle qui fait de la formation qui génère des recettes pour l’association et qui permet d’être indépendant des subventions et le dernier, développement et expérimentation pour accompagner les professionnels au sein des territoires.”

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Image tirée du site d’Action Prévention Sport

Tantôt employé comme un capteur d’attention, un outil de sociabilisation, un moteur de dépassement de soi ou le point de départ de la construction d’un projet professionnel, sur chaque programme, la pratique sportive est mobilisée différemment selon les publics et leurs besoins. Par exemple, “pour les jeunes majeurs incarcérés, le sport est un outil pour créer du lien. Sur trois demi-journées par semaine, on organise des ateliers sportifs pour être sur une dynamique de relation pédagogique intéressante ce qui nous permet ensuite de tendre vers d’autres temps d’accompagnement : des ateliers CV, comment construire un projet professionnel, gérer son suivi administratif : on prépare la sortie”.

Chez les jeunes en difficultés, le sport fait souvent office d’appât et apparaît comme un bon prétexte, une porte d’entrée douce et pertinente vers l’accompagnement tel que le mentionne Guillaume :

“Je re-mobilise le jeune par la pratique sportive plutôt que de le faire venir tous les jours pour travailler sur son CV. Il y a quelque chose d’un peu plus motivant. Le sport, c’est un outil pédagogique qui permet de créer une autre relation moins frontale, formelle et hiérarchique avec un conseiller. Aussi, on peut travailler sur une pluralité de problématiques qu’elles soient sur des limites de compétences, sur des manques de confiance en soi, sur la dynamique relationnelle et collective. Et grâce au sport, on fait découvrir d’autres environnements, on les sort de chez eux, du quartier. Par exemple, on organise des séjours sportifs en plein air, on les invite sur des évènements en lien avec des sujets de société : des courses contre les violences faites aux femmes pour n’en citer qu’une.”

Pour les éducateurs, le sport permet aussi l’analyse et d’obtenir des clefs de compréhension pour accompagner le jeune du mieux possible : “on va observer beaucoup à travers la pratique sportive. Dès le départ, cela permet de comprendre son fonctionnement au sein d’un groupe : est-ce qu’il s’isole, réagit avec violence ? Les éducateurs réalisent l’ensemble des problématiques rencontrées : le manque d’hygiène, de sommeil, la malnutrition, la nécessité d’un suivi psychologique…”.

C’est une évidence : avant de faire de l’insertion par le sport, APS fait tout simplement de l’insertion. L’association ajuste les fondamentaux au-delà de la pratique sportive. Les activités socio-culturelles ou sportives sont donc des supports, des outils ajoutés à un accompagnement global, complet qui permet de recadrer le jeune et de le remettre sur pied. Et cela ne passe pas uniquement par l’entrée en formation ou en emploi. Les associations d’insertion ne sont pas des agences intérim.

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Image tirée du site d’Action Prévention Sport

Le sport ne fait pas tout. Et bien souvent, il est accompagné de tout un imaginaire à déconstruire chez les bénéficiaires comme en atteste le Délégué Général de l’association : “Il y a des limites à poser de suite. Souvent, on rencontre des jeunes qui pensent qu’ils vont être footballeurs professionnels alors qu’ils ont déjà 22 ans et qu’ils n’ont jamais fait de foot dans un club. Notre travail est aussi de les (ré)-ancrer dans la réalité.

Les acteurs associatifs experts de ces thématiques font face à un second obstacle : cibler et mobiliser les bénéficiaires comme le rappelle Guillaume : “dans le milieu de l’insertion, on fonctionne beaucoup par prescriptions. Ces prescripteurs vont être les missions locales, les associations de proximité, les associations de quartier ou encore les clubs de sport, les foyers jeunes travailleurs, ou toutes les structures qui accompagnent les réfugiés, les MNA et les primo-arrivants. Le sourcing c’est ce qu’il y a de plus difficile aujourd’hui pour nous, même si on s’appuie sur ces différents relais.”

Ce n’est pas tout, il est essentiel de mettre en lumière un autre enjeu de taille : l’inadéquation entre les objectifs d’une structure associative, soit remobiliser les jeunes décrocheurs, travailler durablement sur les différents freins rencontrés et ceux des financeurs publics. Par exemple, la Région Ile-de-France, comme toute autre institution, possède un cahier des charges, avec des objectifs précis à atteindre, accompagnés d’instruments de mesure d’impact. Mais ce qu’on appelle “les sorties positives” ou une “insertion réussie” ne peuvent pas se quantifier uniquement par des chiffres ou des pourcentages qui diraient : X% de bénéficiaires ont pourvu un emploi suite à l’accompagnement associatif. Les mots de Guillaume reflètent bien la réalité :

“Faire en sorte qu’un jeune reprenne confiance en lui, qu’il s’ouvre aux autres, qu’il change de vision du monde, c’est une insertion réussie. Le guider vers un métier qui ne l’intéresse pas simplement pour remplir le contrat, ce n’est pas forcément lui rendre service. Au-delà de l’insertion purement professionnelle nous avons surtout pour objectif de faire en sorte que les bénéficiaires deviennent des citoyens épanouis, insérés. Qu’ils ne soient pas en rupture avec la société et qui ne se sentent pas en marge.”

En somme, il est impossible de travailler l’un sans l’autre. La mission d’insertion professionnelle doit être intimement liée à des actions d’insertion sociale et les pouvoirs publics doivent impérativement en prendre conscience.


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Image tirée du site d’Action Prévention Sport


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