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Face au déterminisme social, faire collectif : de l’étude aux solutions pour une jeunesse aux multiples visages | Dans l’oeil de L’Ascenseur #8

L’impossible cécité

Encore aujourd’hui en France, l’origine sociale détermine la trajectoire de vie de nombreux jeunes. Malheureusement, nous ne manquons pas d’exemples : dès l’adolescence 37% des enfants de catégories professionnelles populaires considèrent ne pas avoir reçu les bonnes informations pour s’orienter correctement. A l’heure de son insertion professionnelle, un candidat avec un nom et prénom à consonance maghrébine doit envoyer 3 fois plus de CV qu’un autre jeune portant un patronyme à consonance française pour obtenir un entretien d’embauche. Enfin, si de principe la culture se doit d’être accessible à tous les publics, dans les faits 1 jeune sur 2 issu de QPV ou de commune rurale a déjà ressenti des inégalités de traitement au cours de sa pratique culturelle. Doit-on en rester là ?

Discriminations, déterminisme social, autocensure, freins à l’emploi sont autant de mécanismes qui entravent notre promesse républicaine, celle de l’égalité des chances. C’est un fait : les jeunes sont les premières victimes des nombreuses inégalités qui minent notre société. Dans ces conditions, il est bien difficile de s’accomplir, de s’épanouir et de se réaliser. Il y a déjà 5 ans, Benjamin Blavier et Saïd Hammouche ne pouvaient pas se satisfaire de ce constat. Ensemble, avec le précieux soutien de BNP Paribas et particulièrement celui d’antoine sire , ancien Directeur de l’Engagement du Groupe, ils ont décidé d’unir les forces de toutes celles et ceux qui ont la volonté de faire bouger les lignes.

Pour ce faire, une réponse inédite : créer la première maison de l’égalité des chances en plein cœur de la capitale “pour être plus audibles et surtout plus efficaces” selon Benjamin Blavier, co-fondateur et Président de L’Ascenseur.

En effet, pour reprendre ses mots, “La dynamique collective est la seule solution pour changer d’échelle. Une association est toujours limitée à un objet, à un sujet, à un territoire. Elle peut être très efficace sur son domaine mais malheureusement, les enjeux sociaux, sociétaux sur ces questions d’inégalités sont tellement forts que l’on a besoin de renforcer l’impact. La seule manière d’y parvenir, c’est de faire travailler ensemble les associations, les entreprises et les collectivités.”


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Benjamin Blavier, co-fondateur et Président de L’@Ascenseur le 05 décembre 2024 aux 5 ans du Collectif à RadioFrance.

Les coalitions et dynamiques collectives : une planche de salut face aux inégalités ?

Pari relevé et promesse tenue : Depuis sa genèse en 2019, le collectif de L’Ascenseur a permis de fédérer les expertises pour renforcer l’innovation sociale,  multiplier et mutualiser les ressources, partager des bonnes pratiques, mais surtout avoir une influence capitale sur les priorités gouvernementales. Et pour preuve, 5 ans plus tard et une politique publique impulsée grâce aux associations (1 jeune 1 mentor), cette pépinière de l’égalité des chances accompagne près de 1 million de jeunes à travers la France et ce grâce aux actions et à l’accompagnement quotidien des ses 100 associations membres.

Malgré cette ascension remarquable, cette dernière année nous a confirmé que l’égalité des chances est plus que jamais un grand enjeu de notre époque. Nous n’avons jamais eu autant besoin des initiatives collectives qui rassemblent les forces, créent des ponts et renouent le dialogue entre les mondes et les générations. C’est pourquoi L’Ascenseur a souhaité donner la parole aux jeunes à travers le tout premier Baromètre des inégalités ressenties par la jeunesse. Un projet ambitieux porté communément par Isabelle Giordano, Directrice Déléguée Générale de la Fondation BNP Paribas et Frédéric Dabi, Directeur Général du Groupe Ifop le plus ancien institut de sondage français.

L’objectif était d’interroger l’émotion de la jeunesse face aux inégalités subies et ressenties tel que le précise Benjamin Blavier :

“Au-delà de ces chiffres statistiques, ce qu’il faut interroger c’est le ressenti des jeunes parce que je pense que c’est une donnée fondamentale pour les comprendre, pour comprendre aussi les problèmes de notre pays et cerner précisément ce que l’on attend de  nous, associations.

Un Baromètre inédit : l’émotion au cœur de l’étude

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Frédéric Dabi, Directeur Général de l’IFOP x Memet Chenal, ambassadeur de la #GénérationAscenseur

En effet, s’il existe déjà des données factuelles sur cette jeunesse, aucune étude n’existe concernant leur ressenti à l’échelle nationale. Pour la première fois, 2000 jeunes ont été interrogés – un échantillon particulièrement représentatif de cette génération 12-30 ans, et plus spécifiquement ceux issus de milieux populaires, quartiers fragiles et de milieux ruraux enclavés. Première singularité de ce baromètre ? Indéniablement sa méthodologie à en croire l’expertise de Fréderic Dabi, Directeur Général de l’IFOP :

avoir interrogé 2000 jeunes, ça ne s’était jamais fait ou presque, parce que cet échantillon  permet avoir une granularité très fine, une analyse intersectionnelle; une sorte de cartographie de la jeunesse en termes de  genre, de classe sociale, de génération et surtout en croisant plusieurs variables.

En partant de l’auto-perception des jeunes, l’enjeu est de mesurer et de comprendre comment ils et elles se sentent au sein de notre société. Sentiment d’injustice sociale, d’exclusion, repli sur soi, doutes démocratiques et défiance envers les institutions : prendre le poul de la jeunesse permet de comprendre les fractures sociales qui pèsent sur notre société. L’expression phare de Frédéric Dabi prend alors tout son sens : on ne fait pas un sondage pour avoir la réalité, mais bien la perception du réel”.

Une jeunesse plurielle, aux multiples visages

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Infographie du Baromètre des inégalités ressenties par la Jeunesse : L’Ascenseur x l’IFOP.

Si Pierre Bourdieu affirme que la “jeunesse n’a pas d’âge”, les observateurs, les politiques et les médias ont du mal à parler des jeunes. Tous tentent d’y accoler des adjectifs épithètes : “génération Charlie”, “génération COVID”, “génération sacrifiée”, “génération climat”. Cela démontre, de fait,  qu’il y a une vraie diversité.

Les conclusions du premier Baromètre des inégalités ressenties viennent conforter cette hypothèse : par exemple, 48% des jeunes vivant au sein de QPV ont dû changer des informations sur leur CV pour augmenter leurs chances d’être embauchés, c’est près de 2x plus que ceux vivant hors QPV (29%). La fracture entre les milieux ruraux et urbains est évidente :  les jeunes habitant en communes rurales et de milieux populaires sont 3x plus nombreux que les jeunes habitant en agglomération parisienne et issus de milieux favorisés à considérer que leur parcours scolaire ne leur a pas permis de trouver un emploi à la hauteur de leurs attentes. Enfin, Les jeunes femmes issues de milieux populaires sont presque 7x plus nombreuses que les jeunes hommes issus de milieux favorisés à déclarer ne jamais pratiquer de sport.

Bilan ? Rien n’échappe au déterminisme social, les inégalités sont intersectionnelles et les problématiques se superposent.  Bien heureusement, nous avons les moyens d’agir – ensemble – pour changer la donne. D’abord, en donnant la parole aux jeunes, en les écoutant. Au travers de cette analyse fine et intersectionnelle, nous pouvons mieux cibler les inégalités et agir avec plus de précision sur ces publics. Aussi, en apportant une diversité de solutions à une diversité de profils grâce à la diversité du Collectif exemple. Des actions concrètes et des solutions innovantes germent chaque jour à l’image du mentorat pour ne citer qu’un exemple.

Face à ces résultats, Frédéric Dabi  analyse :

“nous voyons bien à travers cet échantillon qu’il n’y pas une jeunesse mais des jeunesses. Celle des quartiers populaires, des zones rurales : la classe sociale joue un rôle primordial notamment sur le regard sur l’école, la culture, les discriminations, le genre, finalement sur leur place au sein de notre société. Cela nous questionne nécessairement sur la promesse républicaine. Derrière ces chiffres et ces pourcentages, il y a des réalités, il y a des gens.”

Ces réalités sont incarnées par de nombreux jeunes, notamment accompagnés par les associations de L’Ascenseur. Pour illustrer concrètement ces résultats, ci-après le témoignage de Memet Chenal, qui a intégré une prépa économique et commerciale prestigieuse à l’issue de son bac et passé par #GénérationAscenseur, le programme phare du Collectif :

« J’étais motivé principalement par le fait de changer de milieu social. Je me suis orienté un peu seul, je me suis contenté des brochures Onisep. Je pensais que ma volonté allait suffire à rattraper les inégalités, je n’avais pas mesuré le décalage entre mon lycée de banlieue populaire et ce que j’allais vivre à Versailles. Je me suis pris une grande claque et j’aurais bien aimé qu’on me prépare. »

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Memet Chenal, 27 ans, ambassadeur de la #GénérationAscenseur

Faire vivre cette étude collectivement

Cette étude constitue donc une matière et des ressources précieuses à exploiter non seulement par les associations mais aussi par les entreprises et les pouvoirs publics afin de favoriser les innovations sociales en faveur de la jeunesse. L’Ascenseur et l’IFOP  ne sont pas des experts muets : ce travail de terrain est véritablement utile car il projette l’état brut de notre société. A l’image d’un guide, ce baromètre se doit d’être un outil capable d’impulser de nouvelles politiques publiques et un élan concret dans le repositionnement des entreprises sur les sujets de diversités, de recrutement et de lutte contre les inégalités et les discriminations.

Pour véritablement changer la donne, il ne faut plus se contenter des petites victoires, l’égalité des chances doit être une ambition collective. Benjamin Blavier ne cesse de le répéter : très sincèrement, si on avait pas été capable de de travailler en coalition, je pense que l’on aurait jamais vu émerger la politique publique instaurée sur le mentorat.”

L’entreprise, elle aussi, a un rôle essentiel à jouer aux côtés des associations. Loin d’être un sanctuaire autarcique, elle est moteur du changement pour reprendre la pensée du Président de L’Ascenseur :

“Je crois que les entreprises ont de vraies responsabilités pour permettre à ces jeunes de s’intégrer, à hauteur de leurs talents.  Si on ne construit pas un projet de société sans y associer de rapports avec les entreprises, ça ne peut pas marcher.  Et dans les associations que nous sommes, il y a une multitude d’innovations qui sont extrêmement intéressantes pour les entreprises surtout sur le travail en coalition. Je pense qu’elles doivent aussi nous voir comme un laboratoire du changement qui peut être extrêmement intéressant, ne serait-ce que pour les rapprocher de leur public.”

Ainsi, une conviction profonde ressort de cette étude : jouons collectif. Aujourd’hui, la dynamique collective devient une des seules issues pour faire bouger les lignes lorsqu’il s’agit de rendre l’éducation, la formation, l’insertion professionnelle, la culture et le sport accessibles à tous et toutes. L’action commune favorise le décloisonnement entre les mondes privés, publics et associatifs : continuons ensemble à renouer le dialogue, à créer des passerelles et des rencontres.

Ce baromètre des inégalités ressenties par la jeunesse sera désormais un rendez-vous récurrent afin d’en faire un véritable outil de référence. Alors pour cette nouvelle année, reprenez L’Ascenseur à nos côtés !

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